Ballade Poétique
26 oct 2009
Depuis l’automne, à l’initiative de Françoise Ruban, des poèmes sont venus fleurir l’Atrium, qui nous livrent, au delà des sentiments, des émotions de leur auteur, des éclats d’âme de ceux qui les confient ici.
Le registre, différent de celui de l’atrium, et leur nombre, demandait de leur réserver un accueil plus intime et c’est pourquoi s’ouvre aujourd’hui un nouveau chapitre pour accueillir ces pages…, les protéger d’autres formes d’expression, moins « sensibles »… avec lesquelles elles se marient mal…
Bonne lecture !
Mais n’oubliez pas Montgeron en fondant dans ce pages… Toute l’histoire est à reconstruire
26 Responses
12 avr 2012
Bonjour.
Avec Michel-Paul, quelques uns de « notre » époque et Ginette Rouche, nous avons eu récemment le plaisir de passer un long et riche moment avec les actuels et très sympas rédactrices et rédacteurs du Héron Déplumé.
Fut naturellement évoqué le nouveau nom du lycée.
Ne pouvant qu’ être de coeur avec le combat de Rosa Parks, mais ne me faisant pas à la nouvelle appellation de MON établissement, je me suis souvenu de ce véritable poète populaire qu’est Guy Béart, et de sa chanson » Couleurs vous êtes des larmes « .
Je vous en propose le texte.
Il manque la musique qui, toujours simple, évidente et pertinente, fait un bel écrin à ces mots.
Il existe un coffret de trois CD de cet amoureux de la langue française, baptisé… » Guy Béart best of » (Disques Temporel chez Sony Music).
Il contient soixante parmi les plus belles chansons de cet ami de Brassens et de René Fallet, dont celle-ci.
En attendant une intégrale ?
Couleurs, vous êtes des larmes.
Paroles et musique de Guy Béart, 1969.
Dors mon enfant c’est déjà l’heure
Ça ne sert à rien que tu pleures
Dans tes yeux couleur d’arc-en-ciel
Il y a des larmes de sel
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Elle est en couleur mon histoire
Il était blanc elle était noire
La foule est grise grise alors
Il y aura peut-être un mort
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Il lui a donné des cerises
Et noire sa main les a prises
Et rouge sa bouche a mordu
Il y a demain un pendu
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Voici des fleurs toutes bien faites
De la rose à la violette
Le bouquet qu’il lui a offert
Etait bleu rouge jaune et vert
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Ils ont couru jusqu’au rivage
Ils riaient de tout leur visage
Ils se sont baignés dans la mer
Il y aura des révolvers
La mer est bleue pour tout le monde
Pour les peaux brunes et les peaux blondes
Quand l’homme s’y baigne en passant
Il y a des gouttes de sang
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Ce sang qui coule jusqu’à terre
Mon enfant ferme tes paupières
Pourvu que tu ne saches rien
Ce sang qui coule c’est le tien
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
Les larmes sont partout pareilles
Sèche tes yeux qui s’ensommeillent
Dors mon enfant ne pleure pas
Tu ne sais pas encore pourquoi
Couleurs vous êtes des larmes
Couleurs vous êtes des pleurs
03 août 2010
Un jour un jour
Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime
Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l’avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages
Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l’enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles
Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d’idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
LOUIS ARAGON
Très beau poème que chante merveilleusement bien Jean Ferrat
30 juil 2010
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
25 juil 2010
Soleil couchant
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.
A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l’Océan s’unit.
Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.
L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d’or de son rouge éventail.
José Maria de Heredia
Bonjour estival à tous et à toutes !D’abord à Michel-Paul
09 juil 2010
UNE AUTRE ODYSSEE
Une autre Odyssée,
plus grande que la première, peut-être. Mais hélas
sans Homère, sans hexamètres.
Elle était petite, le demeure paternelle.
Petite, sa ville natale,
Et son Ithaque tout entière était petite.
L’affection de Télémaque, la fidélité
de Pénélope, la vieillesse du père,
ses amis d’autrefois, l’amour
et le dévouement du peuple,
le confort tranquille de la maison
sont entrés tels des rayons de joie
dans le coeur du navigateur.
Puis tels des rayons, ils ont décliné.
La soif
du large s’est réveillée en lui.
Il détestait les vents de terre.
Les fantômes de l’Hespérie
revenaient la nuit troubler son sommeil.
Il se laissait envahir par la nostalgie
des voyages, et des arrivées
matinales dans des ports où l’on se fait une joie
de pénétrer pour la première fois.
L’affection de Télémaque, la fidélité
de Pénélope, la vieillesse du père,
ses amis d’autrefois, l’amour
et le dévouement du peuple,
la sécurité même, et le confort
de la maison, il en a eu assez.
Alors il est parti.
Tandis que les côtes d’Ithaque
s’estompaient peu à peu devant ses yeux
et qu’il mettait pleines voiles vers le couchant,
vers le pays de Ibères, les colonnes d’Hercule,-
loin des eaux achéennes,-
il se sentit revivre, en rejetant ainsi
ces liens devenus insupportables
du ménage et la routine des affaires courantes.
Et son coeur d’aventurier
en éprouvait une jouissance froide, dépourvue d’amour.
Constantin Cavafis – Esquisses – (Janvier 1894)
Traduction de Dominique Grandmont
09 juil 2010
ITHAQUE
Quand tu prendras le chemin d’Ithaque,
souhaite que la route soit longue,
pleine d’aventures, pleine d’enseignements.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
Ne les crains pas, ni la colère de Poseidon,
jamais tu ne trouveras rien de tel sur ton chemin,
si ta pensée reste élevée, si une émotion rare
étreint ton esprit et ton corps.
Les Lestrygons et les Cyclopes,
tu ne les rencontreras pas, ni l’irascible Poséidon,
si tu ne les transportes pas dans ton âme,
si ton âme ne les fait pas surgir devant toi.
Souhaite que la route soit longue.
Que nombreux soient les matins d’été
où – avec quel plaisir et quelle joie ! –
tu découvriras des ports que tu n’as jamais vus ;
arrête-toi dans les comptoirs phéniciens
pour te procurer de précieuses marchandises,
ambre, corail, ébène, nacre,
et capiteux parfums de toutes sortes,
le plus que tu pourras de capiteux parfums;
visite aussi beaucoup de villes égyptiennes,
et n’aie de cesse de t’instruire auprès de ceux qui savent.
Garde toujours Ithaque présente à ton esprit.
Y parvenir est ta destination finale.
Mais ne te hâte surtout pas dans ton voyage.
Mieux vaut le prolonger pendant des années;
et n’aborder dans l’île que dans ta vieillesse,
riche de ce que tu auras gagné en chemin,
sans attendre d’Ithaque aucun autre bienfait.
Ithaque t’a offert ce beau voyage.
Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.
Elle n’a rien de plus à t’apporter.
Et même si elle est pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
Sage comme tu l’es, avec une expérience pareille,
tu as sûrement déjà compris ce que les Ithaques signifient.
Constantin Cavafis
Traduction de Dominique Grandmont
09 juil 2010
EN ARLES
Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
Paul-Jean Toulet.
25 nov 2009
Soleil couchant
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume;
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.
A mes pieds, c’est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l’océan s’unit.
Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.
L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d’or de son rouge éventail.
José-Maria de Hérédiaon
Les Trophées
13 nov 2009
Un jour un jour
Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime
Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l’avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages
Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché
Un jour….
Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l’enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles
Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d’idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le baillon pour la bouche et pour la main le clou
Un jour…
Louis Aragon
04 nov 2009
Le Pont Mirabeau
Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Guillaume Apollinaire
25 oct 2009
Pour faire un peu goûter à l’œuvre élevée et humaniste de Georges Barbarin, je propose cet autre poème.
L’Invisible.
Il est là chaque soir derrière mon épaule
Ombre de mort tapie dans l’ombre du vivant;
Dans les champs de l’esprit sa présence me frôle
Et ce contact est doux mais jamais décevant.
Il est là et, muet, il me parle quand même.
Il n’a pas d’yeux, il voit; pas d’oreille, il entend.
Il ne dit pas je hais. Il dit sans cesse: J’AIME.
Il traverse la chair et l’espace et le temps.
Il sait. Il n’attend plus dans l’angoisse et le doute.
Il connait. Il comprend. Il va dans l’avenir.
Il marche et, d’un pas sûr, il accomplit la route
Car il espère enfin dans ce qui va venir.
Il défriche pour moi ma conscience obscure,
Met à nu sous mes yeux le vice humiliant.
Entre le mal et moi il penche sa figure.
Il est l’AMI caché, fort et conciliant.
O prophète des nuits, pur esprit de mes veilles,
De l’Inconnu divin écho mystérieux,
Dont le souffle léger frémit à mes oreilles
Et dont l’effort subtil hésite sous mes yeux.
Pour me guider ainsi es-tu mon fils, mon père?
Un de ceux que j’aimais dans le recul du temps?
Qu’importe! je te sens mon compagnon, mon frère,
Et je repose en Toi ma faiblesse d’enfant.
Pour m’approcher un jour de la flamme de vie,
Le manteau de la chair de mon épaule ôté,
Quand m’éveilleras-tu dans tes bras, rude ami,
O mort, ô liberté!
Georges Barbarin
25 oct 2009
La mort du jardin.
Le cher jardin vêtu de fleurs et de feuillages
Se dépouille au milieu d’octobre frissonnant
Et, sous l’âpre baiser de l’automne sauvage,
Je le vois chaque jour s’effeuiller lentement.
Qui nous dira jamais cette douleur des choses
Et quel langage humain saura la consoler?
Oh! le divin sanglot qui monterait des roses
Si les fleurs en mourant pouvaient aussi pleurer.
Mais de leurs désespoirs, de leurs peines secrètes
Rien ne vient jusqu’à nous car nous n’entendons pas.
Leurs lèvres de satin restent toujours muettes
Et, sans plainte et sans bruit, les fleurs meurent tout bas.
Abri mystérieux de mon ombreuse allée,
Nul tapis retombant n’orne plus tes rameaux
La splendeur de l’été déjà s’en est allée
Vers des pays plus doux et vers des cieux plus beaux.
Les arbres sont courbés sous le ciel immobile
Comme des géants las qui sommeillent debout.
Le lac est sans frissons et son onde tranquille
Baise timidement le bord des gazons roux.
Le sol n’est que débris et que tristes jonchées,
Le dernier des beaux jours par l’hiver est vaincu
Et sous l’épais manteau des feuilles desséchées,
Comme un rêve d’enfant le jardin a vécu.
Georges Barbarin
23 oct 2009
Parce que ce matin j’ai vu passer les premières grues cendrées, en partance vers le Sud, j’ai pensé à ce très beau texte et j’ai envie de le partager.
Est-ce une bonne idée ?
Les oiseaux de passage
Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu’avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne;
Ca lui suffit, il sait que l’amour n’a qu’un temps.
Ce dindon a toujours béni sa destinée,
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs: « C’est là que je suis née;
Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir. »
Elle a fait son devoir, c’est-à dire que oncques
Elle n’eut de souhait impossible, elle n’eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs sur un fleuv inconnu.
Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n’est point hideux
Ce canard n’a qu’un bec, et n’eut jamais envie
Ou de n’en plus avoir ou bien d’en avoir deux.
Ils n’ont aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Possédent pour tout coeur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !
Oh! les gens bienheureux!..Tout à coup, dans l’espace,
Si haut qu’il semble aller lentement un grand vol
En forme de triangle, arrive, plane et passe
Où vont-ils? Qui sont-ils? Comme ils sont loin du sol !
Regardez-les passer! Eux ce sont les sauvages,
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages,
L’air qu’ils boivent feraient éclater vos poumons.
Regardez-les ! Avant d’atteindre sa chimère,
Plus d’un, l’aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.
Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous,
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous.
Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante!
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux
Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente,
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.
Georges Brassens
(d’après Jean Richepin )
19 oct 2009
- Parlons clair: tu adoptes quoi comme système?
Si tu préfères : tu mets quoi dans un poème ?
Ta philosophie? Mmm? Ton modus vivendi?
-Des bruits, des sons, des mots, des pieds, des vers, des phrases.
- Oui, je sais. Mais ce n’est pas ça que je te dis.
Je parle des idées, comment dire ? Du thème,
Du…Ou plutôt voici : dis-moi ce que tu aimes
Dans les vers honorés, méconnus ou maudits ?
-Les bruits, les sons, les mots. Parfois, une ou deux phrases.
Un sourire pincé, un cri, mais pas l’emphase,
Une fleur oubliée, un rire démentiel,
Une chanson, par-ci, par-là, qui vient, qui jase
Quatre regrets, mon coeur, et peut-être Pégase,
Ma jeunesse partie,
Mer,
Terre,
Soleil,
Ciel.
Jacques Bens
18 oct 2009
Que sont mes amis devenus…
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n’aille à terre
Avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d’hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m’était à venir
M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m’évente
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Rutebeuf
17 oct 2009
Chère Françoise,
Tu me fais découvrir et Frank Pavloff et Matin Brun (preuve opportune de l’ évident intérêt de communiquer, où, et quand, et sous quelle forme que ce soit). Je t’en remercie.
Petit tour d’information sur le net:
Je crois comprendre que cela plaide dans la même cour que Soleil Vert (Richard Fleischer 1973, d’après Harry Harrison, avec Charlton Heston, Edward G Robinson, Chuck Connors, Joseph Cotten, Paula Kelly. Existe en DVD), Fahrenheit 451 (Truffaut 1966, d’après Ray Bradbury bien sûr, avec Julie Christie, Oskar Werner, etc. DVD également).
Le livre me semble (comme souvent) bien supérieur au film. Mais la morale est la même, et à une époque où, de plus en plus, tout se vaut (cela n’est pas innocent), l’allégorie des Hommes-Livres, qui dans le maquis apprennent chacun – contre l’interdit mortel – une oeuvre du patrimoine de l’humanité devrait faire partie des questions posées lors des jeux « culturels » de la télé.
(On peut toujours se brosser. Et lire, en attendant…).
« Poètes, vos papiers ! … »
La Liberté ne sera jamais acquise.
Comment se priver de quelle que source d’inspiration que ce soit ?
17 oct 2009
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre
Paul Eluard ( publié le 2 décembre 1944 dans Les Lettres françaises, puis dans le recueil Au rendez-vous allemand )
Texte sans doute un peu grave pour ce site « charmant »…mais je m’interroge souvent sur cette période, au regard des joyeusetés que nous réserve l’époque actuelle. Parfois, je constate d’étranges bégaiements…Et je viens de relire Matin brun de Franck Pavloff.
17 oct 2009
Bonjour.
Personnellement, étant sans talent, ni imagination, ni vraie culture, et me souvenant des moments les plus ébouriffants de mes scolarités, ceux où l’on pompait au péril de sa vie, j’éprouve un grand plaisir à pouvoir maintenant copier sans vergogne, dans l’unique – et bien innocente – intention de faire partager, et pourquoi pas connaître, quelques textes qui me font plaisir. En espérant que, quelques instants, quelqu’un ressente la même chose que moi. Parceque le plaisir solitaire, hein… J’en profite pour remercier les volontaires, qui prennent un peu de leur temps, gentiment, pour me (nous) proposer des écrits et auteurs que j’ignore. Eh oui, même les poètes m’ont échappé…
Ma gratitude concerne aussi certains textes comme « Intolérance » (BBB), qui démontrent à contrario l’intérêt de l’exercice…
Je suis un être simple. Je prends mon miel où je le trouve.
Et comme disait Anatole France, que l’on accusait d’ostracisme:
« Je n’ai pas le coeur assez grand pour tant de haine ».
(Oh pardon, encore une citation).
Allons, décrispons-nous…
15 oct 2009
Automne malade
Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé dans les vergers
Pauvre automne!Meures en blancheur
Et en richesse de neige et fruits mûrs.
Aux lisières lointaines,les cerfs ont bramé
Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles qu’on foule
Un train qui roule
La vie s’écoule…
Guillaume Apollinaire – Alcools -
09 oct 2009
La Nuit d’Octobre
Le Poète
Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve
Je n’en puis comparer le lointain souvenir
Qu’à ces brouillards légers que l’aurore soulève,
Et qu’avec la rosée on voit s’évanouir.
La Muse
Qu’aviez-vous donc, ô mon poète !
Et quelle est la peine secrète
Qui de moi vous a séparé ?
Hélas! je m’en ressens encore.
Quel est donc ce mal que j’ignore
Et dont j’ai si longtemps pleuré?
Le Poète
C’était un mal vulgaire et bien connu des hommes;
Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n’a senti la douleur.
La Muse
Il n’est de vulgaire chagrin
Que celui d’une âme vulgaire
Ami, que ce triste mystère
S’échappe aujourd’hui de ton sein.
Crois-moi, parle avec confiance;
Le sévère dieu du silence
Est un des frères de la Mort;
En se plaignant on se console,
Et quelquefois une parole
Nous a délivrés d’un remord
Le Poète
S’il fallait maintenant parler de ma souffrance,
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter.
Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter
Je veux bien toutefois t’en raconter l’histoire,
Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
Au son de tes accords doucement s’éveiller.
La Muse
Avant de me dire ta peine,
Ô poète! en es-tu guéri?
Songe qu’il t’en faut aujourd’hui
Parler sans amour et sans haine.
S’il te souvient que j’ai reçu
Le doux nom de consolatrice,
Ne fais pas de moi la complice
Des passions qui t’ont perdu. (….)
Alfred de Musset
02 oct 2009
Matin d’octobre
C’est l’heure exquise et matinale
Que rougit un soleil soudain.
A travers la brume automnale
Tombent les feuilles du jardin.
Leur chute est lente.On peut les suivre
Du regard en reconnaissant
Le chêne à sa feuille de cuivre,
L’érable à sa feuille de sang.
Les dernières,les plus rouillées,
Tombent des branches dépouillées:
Mais ce n’est pas l’hiver encor.
Une blonde lumière arrose
La nature,et,dans l’air tout rose,
On croirait qu’il neige de l’or.
François Coppée
29 sept 2009
Signe
Je suis soumis au Chef du Signe
de l’Automne
Partant j’aime les fruits je
déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers
que je donne
Tel un noyer gaulé dit au vent ses
douleurs
Mon Automne éternel ô ma
saison mentale
Les mains des amantes d’antan
jonchent ton sol
Une épouse me suit c’est mon
ombre fatale
Les colombes ce soir prennent
leur dernier vol
Guillaume Apollinaire
( Alcools )
26 sept 2009
Les Vendanges
Hier on cueillait à l’arbre une dernière pêche,
Et ce matin voici, dans l’aube épaisse et fraiche,
L’automne qui blanchit sur les coteaux voisins.
Un fin givre a ridé la pourpre des raisins.
Là-bas voyez-vous poindre, au bout de la montée,
Les ceps aux feuilles d’or dans la brume argentée ?
L’horizon s’éclaircit en de vagues rougeurs,
Et le soleil levant conduit les vendangeurs (…)
Victor de Laprade
Frantz -Idylles héroïques -
26 sept 2009
Un reste de soleil sur le seuil de la brume,
Une glu chaude encore à la pente des nues
Et l’automne vous prend dans ses pattes-pelues,
Feuilles couleur de sang, de sang couleur de plumes.
R.L. Geeraert, Les sueurs de la joie.
25 sept 2009
Les Sanglots de l’Automne
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone
Tout suffocant
Et blême,quand
Sonne l’heure
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
De-ci, de-là,
Pareil à la
Feuille morte
Paul Verlaine
24 sept 2009
Chanson d’automne
Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis;
Soir et matin,la brise est fraîche,
Hélas!les beaux-jours sont finis!
On voit s’ouvrir les fleurs que garde
Le jardin,pour dernier trésor;
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d’or.
La pluie au bassin fait des bulles;
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules:
Voici l’hiver,voici le froid! (…)
Théophile Gautier – Emaux et Camées