Ballade Poétique

Depuis l’automne, à l’initiative de Françoise Ruban, des poèmes sont venus fleurir l’Atrium, qui nous livrent, au delà des sentiments, des émotions de leur auteur, des éclats d’âme de ceux qui les confient ici.

Le registre, différent de celui de l’atrium, et leur nombre, demandait de leur réserver un accueil plus intime et c’est pourquoi s’ouvre aujourd’hui un nouveau chapitre pour accueillir ces pages…, les protéger d’autres formes d’expression, moins « sensibles »… avec lesquelles elles se marient mal…

Bonne lecture !

Mais n’oubliez pas Montgeron en fondant dans ce pages… Toute l’histoire est à reconstruire

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26 Responses

  1. 1 Daniel V.
    12 avr 2012

    Bonjour.

    Avec Michel-Paul, quelques uns de « notre » époque et Ginette Rouche, nous avons eu récemment le plaisir de passer un long et riche moment avec les actuels et très sympas rédactrices et rédacteurs du Héron Déplumé.
    Fut naturellement évoqué le nouveau nom du lycée.
    Ne pouvant qu’ être de coeur avec le combat de Rosa Parks, mais ne me faisant pas à la nouvelle appellation de MON établissement, je me suis souvenu de ce véritable poète populaire qu’est Guy Béart, et de sa chanson  » Couleurs vous êtes des larmes « .

    Je vous en propose le texte.
    Il manque la musique qui, toujours simple, évidente et pertinente, fait un bel écrin à ces mots.
    Il existe un coffret de trois CD de cet amoureux de la langue française, baptisé…  » Guy Béart best of  » (Disques Temporel chez Sony Music).
    Il contient soixante parmi les plus belles chansons de cet ami de Brassens et de René Fallet, dont celle-ci.
    En attendant une intégrale ?

    Couleurs, vous êtes des larmes.

    Paroles et musique de Guy Béart, 1969.

    Dors mon enfant c’est déjà l’heure
    Ça ne sert à rien que tu pleures
    Dans tes yeux couleur d’arc-en-ciel
    Il y a des larmes de sel
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Elle est en couleur mon histoire
    Il était blanc elle était noire
    La foule est grise grise alors
    Il y aura peut-être un mort
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Il lui a donné des cerises
    Et noire sa main les a prises
    Et rouge sa bouche a mordu
    Il y a demain un pendu
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Voici des fleurs toutes bien faites
    De la rose à la violette
    Le bouquet qu’il lui a offert
    Etait bleu rouge jaune et vert
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Ils ont couru jusqu’au rivage
    Ils riaient de tout leur visage
    Ils se sont baignés dans la mer
    Il y aura des révolvers

    La mer est bleue pour tout le monde
    Pour les peaux brunes et les peaux blondes
    Quand l’homme s’y baigne en passant
    Il y a des gouttes de sang
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Ce sang qui coule jusqu’à terre
    Mon enfant ferme tes paupières
    Pourvu que tu ne saches rien
    Ce sang qui coule c’est le tien
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

    Les larmes sont partout pareilles
    Sèche tes yeux qui s’ensommeillent
    Dors mon enfant ne pleure pas
    Tu ne sais pas encore pourquoi
    Couleurs vous êtes des larmes
    Couleurs vous êtes des pleurs

  2. 2 françoise ruban
    03 août 2010

    Un jour un jour

    Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
    Sa protestation ses chants et ses héros
    Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
    A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime

    Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
    Emplissant tout à coup l’univers de silence
    Contre les violents tourne la violence
    Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    Ah je désespérais de mes frères sauvages
    Je voyais je voyais l’avenir à genoux
    La Bête triomphante et la pierre sur nous
    Et le feu des soldats porté sur nos rivages

    Quoi toujours ce serait par atroce marché
    Un partage incessant que se font de la terre
    Entre eux ces assassins que craignent les panthères
    Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
    Des manières de rois et des fronts prosternés
    Et l’enfant de la femme inutilement né
    Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

    Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
    Le massacre toujours justifié d’idoles
    Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
    Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    LOUIS ARAGON

    Très beau poème que chante merveilleusement bien Jean Ferrat

  3. 3 françoise ruban
    30 juil 2010

    L’albatros

    Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    A peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à côté d’eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
    Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
    L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

    Charles Baudelaire

  4. 4 françoise ruban
    25 juil 2010

    Soleil couchant

    Les ajoncs éclatants, parure du granit,
    Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ;
    Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
    La mer sans fin commence où la terre finit.

    A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid
    Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
    Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
    A la vaste rumeur de l’Océan s’unit.

    Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
    Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
    De pâtres attardés ramenant le bétail.

    L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
    Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
    Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

    José Maria de Heredia

    Bonjour estival à tous et à toutes !D’abord à Michel-Paul

  5. 5 DUBOIS Nicole
    09 juil 2010

    UNE AUTRE ODYSSEE

    Une autre Odyssée,
    plus grande que la première, peut-être. Mais hélas
    sans Homère, sans hexamètres.

    Elle était petite, le demeure paternelle.
    Petite, sa ville natale,
    Et son Ithaque tout entière était petite.

    L’affection de Télémaque, la fidélité
    de Pénélope, la vieillesse du père,
    ses amis d’autrefois, l’amour
    et le dévouement du peuple,
    le confort tranquille de la maison
    sont entrés tels des rayons de joie
    dans le coeur du navigateur.

    Puis tels des rayons, ils ont décliné.

    La soif
    du large s’est réveillée en lui.
    Il détestait les vents de terre.
    Les fantômes de l’Hespérie
    revenaient la nuit troubler son sommeil.
    Il se laissait envahir par la nostalgie
    des voyages, et des arrivées
    matinales dans des ports où l’on se fait une joie
    de pénétrer pour la première fois.
    L’affection de Télémaque, la fidélité
    de Pénélope, la vieillesse du père,
    ses amis d’autrefois, l’amour
    et le dévouement du peuple,
    la sécurité même, et le confort
    de la maison, il en a eu assez.
    Alors il est parti.

    Tandis que les côtes d’Ithaque
    s’estompaient peu à peu devant ses yeux
    et qu’il mettait pleines voiles vers le couchant,
    vers le pays de Ibères, les colonnes d’Hercule,-
    loin des eaux achéennes,-
    il se sentit revivre, en rejetant ainsi
    ces liens devenus insupportables
    du ménage et la routine des affaires courantes.
    Et son coeur d’aventurier
    en éprouvait une jouissance froide, dépourvue d’amour.

    Constantin Cavafis – Esquisses – (Janvier 1894)
    Traduction de Dominique Grandmont

  6. 6 DUBOIS Nicole
    09 juil 2010

    ITHAQUE

    Quand tu prendras le chemin d’Ithaque,
    souhaite que la route soit longue,
    pleine d’aventures, pleine d’enseignements.
    Les Lestrygons et les Cyclopes,
    Ne les crains pas, ni la colère de Poseidon,
    jamais tu ne trouveras rien de tel sur ton chemin,
    si ta pensée reste élevée, si une émotion rare
    étreint ton esprit et ton corps.
    Les Lestrygons et les Cyclopes,
    tu ne les rencontreras pas, ni l’irascible Poséidon,
    si tu ne les transportes pas dans ton âme,
    si ton âme ne les fait pas surgir devant toi.

    Souhaite que la route soit longue.
    Que nombreux soient les matins d’été
    où – avec quel plaisir et quelle joie ! –
    tu découvriras des ports que tu n’as jamais vus ;
    arrête-toi dans les comptoirs phéniciens
    pour te procurer de précieuses marchandises,
    ambre, corail, ébène, nacre,
    et capiteux parfums de toutes sortes,
    le plus que tu pourras de capiteux parfums;
    visite aussi beaucoup de villes égyptiennes,
    et n’aie de cesse de t’instruire auprès de ceux qui savent.

    Garde toujours Ithaque présente à ton esprit.
    Y parvenir est ta destination finale.
    Mais ne te hâte surtout pas dans ton voyage.
    Mieux vaut le prolonger pendant des années;
    et n’aborder dans l’île que dans ta vieillesse,
    riche de ce que tu auras gagné en chemin,
    sans attendre d’Ithaque aucun autre bienfait.

    Ithaque t’a offert ce beau voyage.
    Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.
    Elle n’a rien de plus à t’apporter.

    Et même si elle est pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
    Sage comme tu l’es, avec une expérience pareille,
    tu as sûrement déjà compris ce que les Ithaques signifient.

    Constantin Cavafis
    Traduction de Dominique Grandmont

  7. 7 DUBOIS Nicole
    09 juil 2010

    EN ARLES

    Dans Arles, où sont les Aliscams,
    Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
    Et clair le temps,

    Prends garde à la douceur des choses,
    Lorsque tu sens battre sans cause
    Ton coeur trop lourd,

    Et que se taisent les colombes :
    Parle tout bas, si c’est d’amour,
    Au bord des tombes.

    Paul-Jean Toulet.

  8. 8 Françoise Ruban
    25 nov 2009

    Soleil couchant

    Les ajoncs éclatants, parure du granit,
    Dorent l’âpre sommet que le couchant allume;
    Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
    La mer sans fin commence où la terre finit.

    A mes pieds, c’est la nuit, le silence. Le nid
    Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
    Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
    A la vaste rumeur de l’océan s’unit.

    Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
    Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
    De pâtres attardés ramenant le bétail.

    L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
    Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
    Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

    José-Maria de Hérédiaon
    Les Trophées

  9. 9 Françoise Ruban
    13 nov 2009

    Un jour un jour

    Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
    Sa protestation ses chants et ses héros
    Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
    A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime

    Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
    Emplissant tout à coup l’univers de silence
    Contre les violents tourne la violence
    Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    Ah je désespérais de mes frères sauvages
    Je voyais je voyais l’avenir à genoux
    La Bête triomphante et la pierre sur nous
    Et le feu des soldats porté sur nos rivages

    Quoi toujours ce serait par atroce marché
    Un partage incessant que se font de la terre
    Entre eux ces assassins que craignent les panthères
    Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché

    Un jour….

    Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
    Des manières de rois et des fronts prosternés
    Et l’enfant de la femme inutilement né
    Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

    Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
    Le massacre toujours justifié d’idoles
    Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
    Le baillon pour la bouche et pour la main le clou

    Un jour…

    Louis Aragon

  10. 10 Françoise Ruban
    04 nov 2009

    Le Pont Mirabeau

    Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
    Et nos amours
    Faut-il qu’il m’en souvienne
    La joie venait toujours après la peine

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Les mains dans les mains restons face à face
    Tandis que sous
    Le pont de nos bras passe
    Des éternels regards l’onde si lasse

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    L’amour s’en va comme cette eau courante
    L’amour s’en va
    Comme la vie est lente
    Et comme l’espérance est violente

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Passent les jours et passent les semaines
    Ni temps passé
    Ni les amours reviennent
    Sous le pont Mirabeau coule la Seine

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Guillaume Apollinaire

  11. 11 Nuage Indécis
    25 oct 2009

    Pour faire un peu goûter à l’œuvre élevée et humaniste de Georges Barbarin, je propose cet autre poème.

    L’Invisible.

    Il est là chaque soir derrière mon épaule
    Ombre de mort tapie dans l’ombre du vivant;
    Dans les champs de l’esprit sa présence me frôle
    Et ce contact est doux mais jamais décevant.
    Il est là et, muet, il me parle quand même.
    Il n’a pas d’yeux, il voit; pas d’oreille, il entend.
    Il ne dit pas je hais. Il dit sans cesse: J’AIME.
    Il traverse la chair et l’espace et le temps.
    Il sait. Il n’attend plus dans l’angoisse et le doute.
    Il connait. Il comprend. Il va dans l’avenir.
    Il marche et, d’un pas sûr, il accomplit la route
    Car il espère enfin dans ce qui va venir.
    Il défriche pour moi ma conscience obscure,
    Met à nu sous mes yeux le vice humiliant.
    Entre le mal et moi il penche sa figure.
    Il est l’AMI caché, fort et conciliant.
    O prophète des nuits, pur esprit de mes veilles,
    De l’Inconnu divin écho mystérieux,
    Dont le souffle léger frémit à mes oreilles
    Et dont l’effort subtil hésite sous mes yeux.
    Pour me guider ainsi es-tu mon fils, mon père?
    Un de ceux que j’aimais dans le recul du temps?
    Qu’importe! je te sens mon compagnon, mon frère,
    Et je repose en Toi ma faiblesse d’enfant.
    Pour m’approcher un jour de la flamme de vie,
    Le manteau de la chair de mon épaule ôté,
    Quand m’éveilleras-tu dans tes bras, rude ami,
    O mort, ô liberté!

    Georges Barbarin

  12. 12 Nuage Indécis
    25 oct 2009

    La mort du jardin.

    Le cher jardin vêtu de fleurs et de feuillages
    Se dépouille au milieu d’octobre frissonnant
    Et, sous l’âpre baiser de l’automne sauvage,
    Je le vois chaque jour s’effeuiller lentement.

    Qui nous dira jamais cette douleur des choses
    Et quel langage humain saura la consoler?
    Oh! le divin sanglot qui monterait des roses
    Si les fleurs en mourant pouvaient aussi pleurer.

    Mais de leurs désespoirs, de leurs peines secrètes
    Rien ne vient jusqu’à nous car nous n’entendons pas.
    Leurs lèvres de satin restent toujours muettes
    Et, sans plainte et sans bruit, les fleurs meurent tout bas.

    Abri mystérieux de mon ombreuse allée,
    Nul tapis retombant n’orne plus tes rameaux
    La splendeur de l’été déjà s’en est allée
    Vers des pays plus doux et vers des cieux plus beaux.

    Les arbres sont courbés sous le ciel immobile
    Comme des géants las qui sommeillent debout.
    Le lac est sans frissons et son onde tranquille
    Baise timidement le bord des gazons roux.

    Le sol n’est que débris et que tristes jonchées,
    Le dernier des beaux jours par l’hiver est vaincu
    Et sous l’épais manteau des feuilles desséchées,
    Comme un rêve d’enfant le jardin a vécu.

    Georges Barbarin

  13. 13 Françoise Ruban
    23 oct 2009

    Parce que ce matin j’ai vu passer les premières grues cendrées, en partance vers le Sud, j’ai pensé à ce très beau texte et j’ai envie de le partager.
    Est-ce une bonne idée ?

    Les oiseaux de passage
    Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu’avril bourgeonne
    Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
    Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne;
    Ca lui suffit, il sait que l’amour n’a qu’un temps.

    Ce dindon a toujours béni sa destinée,
    Et quand vient le moment de mourir il faut voir
    Cette jeune oie en pleurs: « C’est là que je suis née;
    Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir. »

    Elle a fait son devoir, c’est-à dire que oncques
    Elle n’eut de souhait impossible, elle n’eut
    Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
    L’emportant sans rameurs sur un fleuv inconnu.

    Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
    Toujours pour ces gens-là cela n’est point hideux
    Ce canard n’a qu’un bec, et n’eut jamais envie
    Ou de n’en plus avoir ou bien d’en avoir deux.

    Ils n’ont aucun besoin de baiser sur les lèvres,
    Et loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
    Possédent pour tout coeur un viscère sans fièvres,
    Un coucou régulier et garanti dix ans !

    Oh! les gens bienheureux!..Tout à coup, dans l’espace,
    Si haut qu’il semble aller lentement un grand vol
    En forme de triangle, arrive, plane et passe
    Où vont-ils? Qui sont-ils? Comme ils sont loin du sol !

    Regardez-les passer! Eux ce sont les sauvages,
    Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
    Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages,
    L’air qu’ils boivent feraient éclater vos poumons.

    Regardez-les ! Avant d’atteindre sa chimère,
    Plus d’un, l’aile rompue et du sang plein les yeux,
    Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
    Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

    Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
    Ils pouvaient devenir volaille comme vous,
    Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
    Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous.

    Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante!
    Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux
    Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente,
    Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

    Georges Brassens
    (d’après Jean Richepin )

  14. 14 Françoise Ruban
    19 oct 2009

    - Parlons clair: tu adoptes quoi comme système?
    Si tu préfères : tu mets quoi dans un poème ?
    Ta philosophie? Mmm? Ton modus vivendi?

    -Des bruits, des sons, des mots, des pieds, des vers, des phrases.

    - Oui, je sais. Mais ce n’est pas ça que je te dis.
    Je parle des idées, comment dire ? Du thème,
    Du…Ou plutôt voici : dis-moi ce que tu aimes
    Dans les vers honorés, méconnus ou maudits ?

    -Les bruits, les sons, les mots. Parfois, une ou deux phrases.

    Un sourire pincé, un cri, mais pas l’emphase,
    Une fleur oubliée, un rire démentiel,
    Une chanson, par-ci, par-là, qui vient, qui jase
    Quatre regrets, mon coeur, et peut-être Pégase,
    Ma jeunesse partie,
    Mer,
    Terre,
    Soleil,
    Ciel.

    Jacques Bens

  15. 15 Françoise Ruban
    18 oct 2009

    Que sont mes amis devenus…

    Que sont mes amis devenus
    Que j’avais de si près tenus
    Et tant aimés
    Ils ont été trop clairsemés
    Je crois le vent les a ôtés
    L’amour est morte
    Ce sont amis que vent emporte
    Et il ventait devant ma porte
    Les emporta

    Avec le temps qu’arbre défeuille
    Quand il ne reste en branche feuille
    Qui n’aille à terre
    Avec pauvreté qui m’atterre
    Qui de partout me fait la guerre
    Au temps d’hiver
    Ne convient pas que vous raconte
    Comment je me suis mis à honte
    En quelle manière

    Que sont mes amis devenus
    Que j’avais de si près tenus
    Et tant aimés
    Ils ont été trop clairsemés
    Je crois le vent les a ôtés
    L’amour est morte
    Le mal ne sait pas seul venir
    Tout ce qui m’était à venir
    M’est advenu

    Pauvre sens et pauvre mémoire
    M’a Dieu donné, le roi de gloire
    Et pauvre rente
    Et droit au cul quand bise vente
    Le vent me vient, le vent m’évente
    L’amour est morte
    Ce sont amis que vent emporte
    Et il ventait devant ma porte
    Les emporta

    Rutebeuf

  16. 16 Daniel V.
    17 oct 2009

    Chère Françoise,

    Tu me fais découvrir et Frank Pavloff et Matin Brun (preuve opportune de l’ évident intérêt de communiquer, où, et quand, et sous quelle forme que ce soit). Je t’en remercie.

    Petit tour d’information sur le net:
    Je crois comprendre que cela plaide dans la même cour que Soleil Vert (Richard Fleischer 1973, d’après Harry Harrison, avec Charlton Heston, Edward G Robinson, Chuck Connors, Joseph Cotten, Paula Kelly. Existe en DVD), Fahrenheit 451 (Truffaut 1966, d’après Ray Bradbury bien sûr, avec Julie Christie, Oskar Werner, etc. DVD également).
    Le livre me semble (comme souvent) bien supérieur au film. Mais la morale est la même, et à une époque où, de plus en plus, tout se vaut (cela n’est pas innocent), l’allégorie des Hommes-Livres, qui dans le maquis apprennent chacun – contre l’interdit mortel – une oeuvre du patrimoine de l’humanité devrait faire partie des questions posées lors des jeux « culturels » de la télé.
    (On peut toujours se brosser. Et lire, en attendant…).
    « Poètes, vos papiers ! … »
    La Liberté ne sera jamais acquise.
    Comment se priver de quelle que source d’inspiration que ce soit ?

  17. 17 Françoise Ruban
    17 oct 2009

    Comprenne qui voudra
    Moi mon remords ce fut
    La malheureuse qui resta
    Sur le pavé
    La victime raisonnable
    A la robe déchirée
    Au regard d’enfant perdue
    Découronnée défigurée
    Celle qui ressemble aux morts
    Qui sont morts pour être aimés

    Une fille faite pour un bouquet
    Et couverte
    Du noir crachat des ténèbres

    Une fille galante
    Comme une aurore de premier mai
    La plus aimable bête

    Souillée et qui n’a pas compris
    Qu’elle est souillée
    Une bête prise au piège
    Des amateurs de beauté

    Et ma mère la femme
    Voudrait bien dorloter
    Cette image idéale
    De son malheur sur terre

    Paul Eluard ( publié le 2 décembre 1944 dans Les Lettres françaises, puis dans le recueil Au rendez-vous allemand )

    Texte sans doute un peu grave pour ce site « charmant »…mais je m’interroge souvent sur cette période, au regard des joyeusetés que nous réserve l’époque actuelle. Parfois, je constate d’étranges bégaiements…Et je viens de relire Matin brun de Franck Pavloff.

  18. 18 Daniel V.
    17 oct 2009

    Bonjour.
    Personnellement, étant sans talent, ni imagination, ni vraie culture, et me souvenant des moments les plus ébouriffants de mes scolarités, ceux où l’on pompait au péril de sa vie, j’éprouve un grand plaisir à pouvoir maintenant copier sans vergogne, dans l’unique – et bien innocente – intention de faire partager, et pourquoi pas connaître, quelques textes qui me font plaisir. En espérant que, quelques instants, quelqu’un ressente la même chose que moi. Parceque le plaisir solitaire, hein… J’en profite pour remercier les volontaires, qui prennent un peu de leur temps, gentiment, pour me (nous) proposer des écrits et auteurs que j’ignore. Eh oui, même les poètes m’ont échappé…
    Ma gratitude concerne aussi certains textes comme « Intolérance » (BBB), qui démontrent à contrario l’intérêt de l’exercice…
    Je suis un être simple. Je prends mon miel où je le trouve.
    Et comme disait Anatole France, que l’on accusait d’ostracisme:
    « Je n’ai pas le coeur assez grand pour tant de haine ».
    (Oh pardon, encore une citation).
    Allons, décrispons-nous…

  19. 19 Françoise Ruban
    15 oct 2009

    Automne malade

    Automne malade et adoré
    Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
    Quand il aura neigé dans les vergers
    Pauvre automne!Meures en blancheur
    Et en richesse de neige et fruits mûrs.

    Aux lisières lointaines,les cerfs ont bramé
    Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs
    Les fruits tombant, sans qu’on les cueille
    Le vent et la forêt qui pleurent
    Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

    Les feuilles qu’on foule
    Un train qui roule
    La vie s’écoule…

    Guillaume Apollinaire – Alcools -

  20. 20 Françoise Ruban
    09 oct 2009

    La Nuit d’Octobre

    Le Poète

    Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve
    Je n’en puis comparer le lointain souvenir
    Qu’à ces brouillards légers que l’aurore soulève,
    Et qu’avec la rosée on voit s’évanouir.

    La Muse

    Qu’aviez-vous donc, ô mon poète !
    Et quelle est la peine secrète
    Qui de moi vous a séparé ?
    Hélas! je m’en ressens encore.
    Quel est donc ce mal que j’ignore
    Et dont j’ai si longtemps pleuré?

    Le Poète

    C’était un mal vulgaire et bien connu des hommes;
    Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur,
    Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
    Que personne avant nous n’a senti la douleur.

    La Muse

    Il n’est de vulgaire chagrin
    Que celui d’une âme vulgaire
    Ami, que ce triste mystère
    S’échappe aujourd’hui de ton sein.
    Crois-moi, parle avec confiance;
    Le sévère dieu du silence
    Est un des frères de la Mort;
    En se plaignant on se console,
    Et quelquefois une parole
    Nous a délivrés d’un remord

    Le Poète

    S’il fallait maintenant parler de ma souffrance,
    Je ne sais trop quel nom elle devrait porter.
    Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
    Ni si personne au monde en pourrait profiter
    Je veux bien toutefois t’en raconter l’histoire,
    Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
    Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
    Au son de tes accords doucement s’éveiller.

    La Muse

    Avant de me dire ta peine,
    Ô poète! en es-tu guéri?
    Songe qu’il t’en faut aujourd’hui
    Parler sans amour et sans haine.
    S’il te souvient que j’ai reçu
    Le doux nom de consolatrice,
    Ne fais pas de moi la complice
    Des passions qui t’ont perdu. (….)

    Alfred de Musset

  21. 21 Françoise Ruban
    02 oct 2009

    Matin d’octobre

    C’est l’heure exquise et matinale
    Que rougit un soleil soudain.
    A travers la brume automnale
    Tombent les feuilles du jardin.

    Leur chute est lente.On peut les suivre
    Du regard en reconnaissant
    Le chêne à sa feuille de cuivre,
    L’érable à sa feuille de sang.

    Les dernières,les plus rouillées,
    Tombent des branches dépouillées:
    Mais ce n’est pas l’hiver encor.

    Une blonde lumière arrose
    La nature,et,dans l’air tout rose,
    On croirait qu’il neige de l’or.

    François Coppée

  22. 22 Françoise Ruban
    29 sept 2009

    Signe

    Je suis soumis au Chef du Signe
    de l’Automne
    Partant j’aime les fruits je
    déteste les fleurs
    Je regrette chacun des baisers
    que je donne
    Tel un noyer gaulé dit au vent ses
    douleurs

    Mon Automne éternel ô ma
    saison mentale
    Les mains des amantes d’antan
    jonchent ton sol
    Une épouse me suit c’est mon
    ombre fatale
    Les colombes ce soir prennent
    leur dernier vol

    Guillaume Apollinaire
    ( Alcools )

  23. 23 Françoise Ruban
    26 sept 2009

    Les Vendanges

    Hier on cueillait à l’arbre une dernière pêche,
    Et ce matin voici, dans l’aube épaisse et fraiche,
    L’automne qui blanchit sur les coteaux voisins.
    Un fin givre a ridé la pourpre des raisins.
    Là-bas voyez-vous poindre, au bout de la montée,
    Les ceps aux feuilles d’or dans la brume argentée ?
    L’horizon s’éclaircit en de vagues rougeurs,
    Et le soleil levant conduit les vendangeurs (…)

    Victor de Laprade
    Frantz -Idylles héroïques -

  24. 24 Nuage Indécis
    26 sept 2009

    Un reste de soleil sur le seuil de la brume,
    Une glu chaude encore à la pente des nues
    Et l’automne vous prend dans ses pattes-pelues,
    Feuilles couleur de sang, de sang couleur de plumes.

    R.L. Geeraert, Les sueurs de la joie.

  25. 25 Françoise Ruban
    25 sept 2009

    Les Sanglots de l’Automne

    Les sanglots longs
    Des violons
    De l’automne
    Blessent mon cœur
    D’une langueur
    Monotone

    Tout suffocant
    Et blême,quand
    Sonne l’heure
    Je me souviens
    Des jours anciens
    Et je pleure

    Et je m’en vais
    Au vent mauvais
    Qui m’emporte
    De-ci, de-là,
    Pareil à la
    Feuille morte

    Paul Verlaine

    Automne

  26. 26 Françoise Ruban
    24 sept 2009

    Chanson d’automne

    Déjà plus d’une feuille sèche
    Parsème les gazons jaunis;
    Soir et matin,la brise est fraîche,
    Hélas!les beaux-jours sont finis!

    On voit s’ouvrir les fleurs que garde
    Le jardin,pour dernier trésor;
    Le dahlia met sa cocarde
    Et le souci sa toque d’or.

    La pluie au bassin fait des bulles;
    Les hirondelles sur le toit
    Tiennent des conciliabules:
    Voici l’hiver,voici le froid! (…)

    Théophile Gautier – Emaux et Camées


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